inset identite

 

plaque-benoit-bunicoDans le Vieux-Nice, il y a des figures. Des femmes et des hommes qu’on y croise souvent, et qu’on remarque. Sans doute y en a-t-il dans tous les quartiers. D’où vient ce sentiment, pourtant, que celles du Vieux-Nice sont les plus marquantes ? Peut-être de l’étroitesse des rues, qui grossit les voix et grandit les personnes. Peut-être aussi de l’assimilation absolue de ces femmes et de ces hommes-là à ce quartier-là, comme s’ils l’avaient habité de toute éternité, comme s’ils en incarnaient l’âme dans les siècles, en tout cas l’idée qu’on se fait de cette âme aujourd’hui.

Parmi ces figures, aujourd’hui, je vous parlerai d’I.

Vous la connaissez certainement, si vous fréquentez les lieux : une petite femme ronde, souvent vêtue d’une tablier-blouse bleu, au chignon pyramidal, à la voix tonnante, au regard souvent furibard, et pourtant pleine de cette ironie si niçoise. Son quartier général se situe entre la place Saint-François et la rue Rossetti, avec un point d’observation principal à l’angle des rues Droite, du Collet et Saint-François, au point qu’on s’étonne de la croiser plus loin, rue Pairolière ou rue du Marché. On ne devrait pas : tout le Vieux-Nice est à elle.

Il y a quelques années de cela, j’accompagnai le technicien municipal en charge de poser les nouvelles plaques de rue du quartier, ces plaques bilingues qui ont fait resurgir, dans l’espace public et dans notre langue, des siècles d’histoire et de patrimoine. Nous étions à l’angle de la rue Rossetti et de la rue Benoît-Bunico, côté nord, et l’homme était en train de visser la plaque ainsi libellée : « Rue Benoît-Bunico – Carriera de la Judarìa ». Cette plaque rappelle que pendant quatre siècles, de 1448 à 1848, ce petit tronçon de rue compris entre la rue Rossetti et la rue de la Loge constituait le ghetto de Nice, même si la population juive de notre ville, protégée par les ducs de Savoie, bénéficia très vite de libertés et d’exemptions remarquables pour l’époque.

I. arrive, de son pas chaloupé, les bras prolongés de lourds sacs à provision. Elle regarde. Elle lit. Elle s’adresse à moi. L’œil est peu amène.

« E cen que serìa acò ? », me demande-t-elle. Le ton est péremptoire.

« Soun li nouveli placa per li carriera d’en Vièia-vila », lui dis-je.

« Et ce nom, là, c’est quoi : « Judarìa » ?

« Ben c’est le nom de ce bout de la rue Benoît-Bunico, qui s’appelait avant rue de la Juiverie puisque c’était celle du ghetto ».

« Avant ? Et qué avant ? Moi, je suis née dans le quartier, et je peux te le dire : cette rue, elle s’est toujours appelée rue Benoît-Bunico ».

Je t’aime bien, I., pour ce que tu incarnes et ce que tu es. Mais là, le coquin de nom m’a pété et j’ai répondu, assez sèchement : « Et avant qu’il naisse, Benoît Bunico, elle s’appelait comment, la rue ? » (pour mémoire je rappelle que Benoît Bunico fut député de Nice à chambre des Députés de Turin de 1848 à 1851, qu’il était avocat, qu’il fut un des défenseurs de l’égalité civile, notamment des Juifs, qu’il naquit en 1810 et qu’il mourut en 1863).

Je lus alors un grand trouble dans ses yeux, et la conversation s’arrêta là.

Je l’avoue. Tout mon agacement s’adressait à un seul mot : « toujours ».

Notre « toujours », comme notre « jamais », d’ailleurs (dans l’expression : « on n’a jamais vu ça ») est en fait limité à nous-mêmes, à nos parents et nos grands-parents.

Notre « toujours », que nous voudrions être celui de l’éternité, n’est pas le mot de l’Histoire. Il est à peine celui de la mémoire.

Notre « toujours » est en fait à notre image : celles de petits êtres fragiles et périssables que leur conscience fait se regarder comme le commencement et la fin du monde tout entier.

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