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APOLLINAIRE NICE MADELEINE PAGÈS - Arrivé au front, Guillaume se retrouve en manque de courrier. Il retrouve l’adresse de la jeune fille rencontrée dans le train en revenant de Nice. Il lui écrit en avril 1915… vous souvenez-vous de moi entre Nice et Marseille au premier janvier. Mes hommages très respectueux.

Elle se souvient effectivement avec émotion de ce militaire si courtois qui lui avait parlé du vieux Nice... avec ses maisons italiennes où flottent sur des cordes lancées d’une fenêtre à l’autre des étendards de haillons, le paillon, le marché, les Collinettes, décrit Nice comme un cheval pur-sang cabré dans une fête au milieu des cris du carnaval et des fleurs que l’on lance, raconté Villefranche comme un grand coquillage ouvert offert à la mer et au ciel.

Elle-même revenait de Nice où elle était allée rendre visite à sa jeune belle sœur, au 17 rue de l’Escarène, son frère aîné, Jean-Michel, étant parti pour le front.

Elle répond en lui envoyant une boite de cigares.

C’est le début d’une correspondance qui devient de plus en plus tendre. Dès la deuxième lettre, il l’appelle petite fée et lui envoi un calligramme sur une écorce de bouleau. Il évoque le monastère de Laghet des « Pèlerins Piémontais » dans le troisième courrier. La tradition des pois dans les souliers, pois cuits au préalable est aussi ancienne que les pèlerinages. Je vous baise la main.

Guillaume a besoin d’amour. Il fait sa cour par correspondance. Elle lui envoie sa photographie.

En juin, il lui écrit qu’il la trouve jolie, autant de l’esprit que de l’apparence physique. De purement intellectuelle, la correspondance tourne au badinage. Vous qui voudriez que je dise Madeleine à votre oreille, ne voulez-vous pas m’appeler Gui à volonté. En juillet il lui écrit qu’il l’adore. En juillet toujours, il l’appelle ma Madeleine à moi et lui demande s’ils peuvent se retrouver pendant sa permission. Il écrit... je vous aime profondément, je pense à vous terriblement.

Elle repasse à Nice voir son frère et promène à Antibes. Il lui répond par retour de courrier : Si vous m’aviez dit que vous alliez aller à la belle Antibes, la grecque, je vous eusse dit d’aller voir près de l’église la pierre tombale de l’enfant du Nord qui vint danser au théâtre d’Antibes, je ne sais plus sous le règne de quel empereur romain. « Saltavit et placuit » dit l’inscription si pure, si belle, si poétique dans sa brièveté lapidaire. « Il dansa et il plut... »

Je n’avais jamais été à Antibes quand j’étais enfant, j’y ai été plusieurs fois pendant mon séjour à Nice au début de la guerre et l’impression que cette ravissante cité marine m’a donnée est celle que m’en avaient déjà donnée les Mémoires de Casanova.

Il lui parle de Marie Laurencin et de Lou (avec qui il poursuit sa correspondance par ailleurs) j’ai pour ma pauvre petite amie royale de Nice un attachement dont vous ne devez pas être un instant jalouse, car chez les femmes dans les veines desquelles court le sang de Saint-Louis, fussent-elles débauchées, il y a une noblesse qui leur permet l’amitié après la rupture...

En août 1915, il demande officiellement sa main à sa mère, son père étant mort. Comme elle lui parle de Nice où vit son frère, il lui écrit... je me demande où est le petit chemin de Valrose, je connais pas mal de monde à Nice, surtout sous le pseudonyme de Guillaume Apollinaire. J’y connais notamment Louis Bertrand qui a mis l’Algérie en romans académiquement truculents. Il habite aux Collinettes. J’y connais encore Aurel et son ami Alfred Mortier. L’un et l’autre gens de lettres connus. Ils habitent du côté de l’église Russe...

Mais quelle magie que le vieux Nice, ses maisons génoises et le marché au bord du Paillon... tenez cela me donne la nostalgie... Pas d’allusions à ses amis des virées nocturnes du vieux Nice.

Madeleine retourne à Nice d’où elle lui écrit. Il lui répond que c’est la ville de la victoire et que c’est de bon augure. Elle lui parle de l’odeur du mimosa, qu’elle trouve trop forte. Il explique... mais non, le mimosa n’est pas mauvais du tout comme odeur et du moment que c’est l’odeur de Nice où vous êtes, ce parfum suave devient bien plus exquis. Il évoque le joli voyage où je vous ai vue si douce et si réservée comme une jolie gazelle privée...

Il révèle dans ces lettres beaucoup de points sur son passé, ses goûts, ses pensées. Il parle du Lycée de Nice où il se levait à 3 heures du matin pour faire ses devoirs afin d’avoir sa soirée libre.

Il gèle au front et il écrit... première gelée la nuit dernière. Vous n’avez pas idée de ça à Nice. Vous êtes ma chérie, ma fleur bien aimée... Et ces nouvelles photos de Nice ?

Il lui demande d’aller chercher un paquet parti de Valmy à la gare de Nice. Il y a les coupures de presse de son frère sur la guerre civile au Mexique.

Lorsqu’il annonce enfin son voyage à Oran pour officialiser leurs fiançailles, il se souviendra que ses voyages maritimes se sont limités à des promenades en pointu au Cap d’Ail avec James Onimus, son camarade du collège Saint-Charles de Monaco. Mêmes souvenirs de Cap d’Ail dans le deuxième poème secret... O jardin sous-marin d’algues de coraux et d’oursins..., puis toujours les jardins de son enfance dans le troisième poème secret... O figue mûre et secrète que je désire dont j’ai faim...

Les souvenirs d’enfance se poursuivent, c’est la première fois qu’il écrit sur ses années de collège à Monaco. J’étais en 5e et je commençais le grec, nous avions un professeur qui s’appelait Becker. Il était très maigre, on l’appelait, je ne sais pourquoi Meletta ou bien Catherine. On lui fit tant de farces qu’il dut partir. C’est lui cependant qui me poussa à faire de la littérature et (en dehors de lui) je fis cette année même et vers cette époque mes premiers vers sans intérêt je crois d’ailleurs...

Les souvenirs olfactifs de Grasse et Nice... pour l’odorat ses joies me sont naturelles. J’ai toujours aimé les parfums et non seulement ceux qui ressortissent à la parfumerie...

Toutes ces lettres, publiées sous le titre de « Tendre comme le Souvenir » avec une préface de Madeleine sur leur rencontre dans le train, forment un document réaliste et émouvant sur la vie quotidienne dans les tranchées et les souvenirs d’enfance.

Sa condition de combattant a changé. Son régiment se trouve en première ligne. En septembre, il est nommé maréchal des logis. Il est au cœur de la bataille. On lui offre la possibilité de passer de l’artillerie à l’infanterie où, suite aux combats meurtriers, on manque de cadres. Guillaume n’est toujours pas officier ni naturalisé. Il se porte volontaire et est affecté comme sous-lieutenant d’infanterie le 20 novembre. Une semaine plus tard il monte en première ligne et connaît les tranchées, le froid, les combats. À la veille de Noël, il obtient enfin la permission espérée pour aller retrouver Madeleine dans sa famille en Algérie. Il arrive à Lamur, près d’Oran le lendemain de Noël.

Il y restera quinze jours et prendra quelques photos avec Madeleine. Peu d’écrit, peu de lettres.

Le bohème a-t-il déserté devant une vie trop rangée ? La confrontation avec la réalité fut-elle différente des rêves du front ?

Les lettres restent tendres après le retour, sans plus.

De retour d’Algérie, Guillaume s’arrête à Paris pour faire part à sa mère de son projet de mariage qu’il n’avait encore osé lui écrire.

Le 9 mars, il reçoit enfin son acte de naturalisation.

Il rejoint le front et écrit le 14 mars à Madeleine : je te lègue tout ce que je possède, et que ceci soit considéré comme mon testament s’il y avait lieu.

Le 17 mars 1916, un éclat d’obus de 150 le blesse à la tempe droite après avoir percé son casque au bois des buttes. Il est sans doute un peu gazé.

Il est transféré au Val de grâce à Paris, puis à l’hôpital italien de Paris où son caractère change. Son état empire. Après un début d’hémiplégie, il est trépané. Madeleine veut le voir à Paris. Il répond par un court télégramme le 19 avril. Pas entreprendre voyage maintenant. Gui.

Ses lettres se font de plus en plus rares.

Le 16 septembre, il écrit un dernier courrier à Madeleine... je suis devenu très irritable... mes compagnons de guerre sont presque tous morts...

C’est la fin de sa deuxième histoire d’amour niçoise.

Madeleine ne se maria jamais. Elle sera plus tard professeur de français au lycée de jeune fille de Nice, devenu depuis lycée Calmette. Elle habitera au 8 rue Alfred Mortier, sans jamais savoir que Guillaume avait signé son engagement pour la guerre au numéro 9 de la même rue.

Elle meurt à Nice en 1963, la même année que Lou. Elles ne se connaîtront jamais.



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