fort-apacheCINÉMA WESTERN JOHN FORD - Quand j'étais enfant, sur la Deuxième Chaîne, à une époque où elle n'était pas encore en couleurs (ou à peine venait-elle de l'être, j'ai la mémoire qui flanche, j'me souviens plus très bien), le dimanche après-midi, on diffusait des films. Mes parents s'obstinaient à vouloir m'emmener en promenade, le dimanche après-midi, au moment des films, justement. La promenade m'intéressait beaucoup moins que les films, et je garde le souvenir de longs, longs, longs parcours de bord de mer, à La Réserve en particulier. Enfant unique, je m'y ennuyai prodigieusement en entendant les grandes personnes parler de gens inconnus ou de faits dépourvus de sens. En revanche, les films proposés étaient souvent des westerns, des comédies, des films d'aventure ou de guerre, toujours américains, en un mot ils racontaient des histoires bien plus passionnantes que les adultes n'en racontent jamais.

J'ai gardé de cette époque le goût pour une catégorie de films que j'appelle mes films du dimanche. Tous les films de la Deuxième Chaîne de la fin des années Soixante n'étaient pas des chefs d'oeuvre, sans doute ; souvent, ils se résumaient à une galopade pleine de coups de fusil ou d'épée, donnés par des personnages schématiques, sur fond de paysages sauvages ; ils bénéficiaient en revanche d'une séduction certaine dans les titres, souvent bien éloignés de la version anglaise originale, mais qui promettaient beaucoup (et je pense notamment à l'un d'entre eux, un western appelé Quand les tambours s'arrêteront, titre absolument génial). Mais au fond, après avoir fait un vaste détour par un cinéma bien plus complexe, j'y suis revenu avec le VHS d'abord, et surtout le DVD.

Aujourd'hui, ces moments ont laissé deux sentiments durables : je hais toujours les promenades du dimanche après-midi, que j'ai pourtant infligées consciencieusement à mes propres enfants (mais quel bien cela peut-il faire aux enfants, je me le demande encore, et je crains encore plus le moment où il faut faire une halte pour boire un café ou un soda) ; et quand je me trouve seul chez moi, comme si j'en avais honte, parce que ce goût n'est partagé par personne au sein de mon foyer, je regarde un de mes "films du dimanche".

Je viens donc de revoir Le massacre de Fort-Apache. C'est un film en noir et gris, comme les appelle A., ma fille, à juste titre car, vous l'aurez remarqué, dans les films dits "en noir et blanc", il y a beaucoup plus de gris que de blanc. C'est un western, le titre vous l'aura laissé deviner. Mais c'est un film, un western, de John Ford.

Bien sûr, de bien plus célèbres analystes ont dit de John Ford bien plus de choses, bien mieux fondées, que je ne le ferai jamais. Mais chaque fois que je revois un de ses films, les deux mêmes forts sentiments m'emportent.

Je suis un homme qui passe une grande partie de son temps dans le passé de la vieille Europe, un passé quadrillé d'hommes, empli de constructions, sillonné d'empreintes, saturé de souvenirs. Alors, les immenses vues panoramiques du désert américain sont comme un gouffre qui m'aspire et me coupe le souffle. J'imagine les immigrants arrivés là, venus de leurs villages amoncelés, soudainement plongés dans ce vide. Ivresse et peur, en proportions variables, voilà ce que, sans doute, ils ont ressenti. Voilà en tout cas ce que nous offre magnifiquement John Ford.

Quant aux protagonistes des films, ils ne manifestent que des sentiments purs, souvent bons, parfois mauvais, mais toujours purs. Et dans Le massacre de Fort-Apache (je ne crois pas avoir entendu une seule fois le nom du fort mentionné dans le film. Si c'est juste, bravo à la belle imagination du titreur), le pur sentiment qui anime le principal protagoniste, le colonel Thursday (Henry Fonda), est la recherche de la gloire. La gloire, pas la célébrité, pas la notoriété : la gloire, si souvent célébrée par les fastes baroques aussi, la gloire, cette éclatante soeur de l'honneur et de l'éternité. Trois mots bien désuets, trois idées passées de mode, ensevelies. On peut s'en réjouir, car elles étaient souvent compagnes de la guerre et de la mort, la première disparue de l'horizon européen, la seconde pour tous et pour toujours inévitable ; on doit cependant le constater, à la vue de la marche du monde contemporain et des hommes qui, aspirant à la conduire, peuvent à peine claudiquer à sa suite.

Et Nice dans tout ça ? Vous étiez prévenus : il n'y a pas que Nice dans ma vie.

Le massacre de Fort-Apache, film américain de John Ford (1948).

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