oui-nicePeut-être était-ce en lisant une interview du grand historien italien Carlo Ginzburg, dans le numéro de janvier de la revue L’Histoire. Peut-être était-ce au fil d’une autre lecture d’un ouvrage historique que je fis mien ce constat : le détail, en histoire, comme la micro-histoire de Ginzburg, est une notion qui apparaît au moment où, dans d’autres domaines, elle devient aussi la base même de la recherche : ainsi, c’est à la même époque, au début du XXe siècle, que la police scientifique prend son essor ; ainsi, c’est au même moment que les historiens de l’art examinent au plus près pigments et détails pour confirmer ou infirmer l’attribution incertaine d’une œuvre.

Il est donc des détails précieux, qui éclairent un moment d’histoire.

Le bulletin de vote du plébiscite de 1860 en porte un, de ces détails éclairants.

Dans les serres d’une aigle impériale, d’ailleurs facile à confondre avec une aigle niçoise, sur un long phylactère, on n’a imprimé qu’un mot : « Oui ».

Pourquoi « Oui » ?

En 1860, et depuis qu’Emmanuel-Philibert en avait décidé ainsi à l’aube des années 1560, la langue officielle du comté de Nice est, à l’instar du Piémont et de la Ligurie, l’italien. C’est dans cette langue que sont rédigés tous les actes politiques et administratifs du temps, dans presque tout le territoire, à l’exception de ses marges nord-occidentales, qui n’avaient été réunies aux Etats de la Maison de Savoie qu’un siècle plus tôt, en 1760. L’ensemble de nos archives en témoigne.

Jusqu’en 1860, aucune nécessité ne semble imposer à l’administration le devoir de publier ses décisions en français, que ce soit les arrêts de la Cour d’Appel, les délibérations du conseil communal, et par voie des conséquences les affiches qui informent alors la population. Certes, le français est d’un usage fréquent, du fait du voisinage et des relations commerciales avec la France. Mais il est peu enseigné, surtout aux filles, puisqu’il est la langue de la conversation mondaine ; il n’est pas obligatoire ; il n’est pas officiel.

Puis soudain, à l’occasion du plébiscite, voilà qu’un certain nombre de textes officiels apparaissent sous une forme bilingue français-italien. Et, pour couronner le tout, le témoignage ultime de l’adhésion de la population : le bulletin de vote, même pas bilingue.

Je dois avouer que ce détail ne m’a sauté aux yeux que récemment. Il y a quelques années, avec Roger Rocca, nous avions publié ce fameux bulletin, comme nombre d’ouvrages l’ont fait avant nous, sans que ce détail nous interpelle. Nous étions plutôt étonnés, alors, qu’on n’ait jamais retrouvé de bulletin imprimé « Non ».

Et puis voilà que ce détail, cette année, s’est imposé à mes yeux.

La logique aurait voulu que les bulletins de vote respectent la loi sarde, et qu’on les imprime de la mention « Si », voire « No ». Eh bien non, la politique l’a emporté sur la loi. Avant même que le vote ne se fasse, et que le résultat que l’on connaît ne soit proclamé, les votants portaient sur eux la marque de leur destin linguistique et politique. Somme toute, le « Oui » ne l’a pas emporté sur le « Non », le « Oui » l’avait déjà emporté sur le « Si ».

Je n’en tire aucune conclusion. Je les laisse volontiers aux scientifiques, et pourquoi pas aux polémistes. Je n’aime pas les conclusions, qui présentent la force massive des portes closes. Je leur préfère les pensées, qui offrent la liberté légère d’une fenêtre ouverte.

Tiens, à propos, il m’en vient une, de pensée.

Nulle part, de fait, on ne trouve la trace de l’équivalent niçois du mot « Oui », qui est le mot « Ahì ». Et au fond, c’était le seul mot qui importait, car c’était le seul qui aurait vraiment manifesté l’adhésion des cœurs, par l’usage de la langue des pères.

 
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