retraite-m-chappuisChapitre 17

Encore la postière

Si vous avez raté le chapitre précédent...


M Chappuis vivait béatement dans l’ignorance de la révolution qu’il provoquait au village. De la postière, il ignorait tout, et même qu’elle existât, et ne se souvenait plus de leur rencontre*.  L’avait-il croisée dans la rue ? Il ne sut que répondre, sans doute l’allure et l’accoutrement devenus tapageurs de l’épouse du postier auraient du le frapper. Mais la postière, que sa passion affinait, avait modifié sa toilette. Elle avait jugé l’homme et était passée du rouge au noir. Mais même en noir, son corps jaillissait de l’étoffe et n’en devenait que plus inquiétant. Elle le comprit en se regardant dans la glace. « J’ai l’air d’un démon », se dit-elle avec des frissons de plaisir. Elle essaya le gris bleu, celui des portes des maisons du village, plat, banal. Elle coiffa en bandeau ses cheveux sauvages, enleva ses boucles d’or, éteignit son regard, s’obligea à baisser les yeux. Elle réussit même à calmer le frémissement de ses narines. Elle prit un maintien sévère et eut les genoux réservés. Elle croisait M Chappuis qui allait au Siège Social avec discrétion mais ne réussit pas à attirer son attention.

« Je vais lui faire peur, pensait-elle, il est si sérieux ! Et moi, hélas, je suis trop jeune et bien mal mariée.»

Elle disait vrai.

 

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Dessin de Henri Capra
Ainsi, solidement établi à l’épicerie et à la poste, M Chappuis se dressait maintenant au-dessus du village.

Il l’ignorait mais n’en était que plus fort. Sa grandeur restait encore intacte. Il n’avait ni déçu ses partisans, ni irrité ses adversaires. Déjà son absurde gloire avait atteint le haut du village. On sut même à Bourgenbas** qu’il était devenu populaire avant qu’il l’eut appris lui-même.

Si le maire Célestin Beluga ne savait pas qu’un nuage menaçant s’amassait sur sa tête, M Chappuis, de son côté, ignorait qu’il fût ce nuage. Les deux rivaux futurs se dressaient peu à peu l’un contre l’autre, tout à fait à leur insu. C’est en dehors de leurs personnes que leur rivalité se créait d’elle-même, jour après jour.

Poussés par une force inexplicable, les gens y travaillaient aveuglément. Pas un seul Chappuisiste n’eût su dire pourquoi il fallait chasser Célestin Beluga de la Mairie. Il n’était pas devenu pire ; il n’était pas devenu meilleur. N’ayant jamais rien fait, il continuait à ne rien faire et incarnait en cela parfaitement l’ensemble des villageois qui craignaient pis que tout le changement. Il était l’idée même du maire. Cependant, tous, ou quasiment, ne voulaient plus de lui à la tête de la commune.

« On l’a trop vu, disait Gutou, il s’est usé. »

A quoi, sans doute à ne rien faire, car même le rien faire comporte son usure. Célestin Beluga était un tyran inactif. On se défend mal contre ces sortes d’hommes. Mais qu’ils fassent le moindre geste, les voila en danger. Célestin Beluga aurait du demeurer dans l’inaction, mais il se sentit menacé et voulut y parer.

Un matin, il alla à l’épicerie commander une lampe à pétrole, mais, par raison d’économie, d’un modèle plus petit que celle de M Chappuis. L’épicière  avertit touts les commères du village. Tout à coup la postière cria :

— Vous savez ce que ça veut dire ?

— Non, répondit l’épicière au nom des autres femmes de l’assemblée.

La postière ricana :

— Ca veut dire que Célestin Beluga crève de peur.

Il y eut un long silence, un malaise. Cette révélation fit le tour du village.

— Célestin Beluga est foutu, dit Gutou.

Un mois plus tard, M Chappuis qui avait accepté de faire une liste sur la pression de la postière était élu maire.

* chapitre 10

**chapitre 8


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