Le 19 octobre 1969, le boulevard Sainte-Agathe cher au cœur des vieux Niçois était rebaptisé en présence de Jacques Médecin, Boulevard Louis Delfino. La ville de Nice honorait ainsi la mémoire de son grand aviateur, disparu l'année précédente à l'âge de 56 ans. Qui était-il ? 

Louis Delfino est d'abord un enfant du quartier populaire de Riquier où il est né le 5 octobre 1912, rue Arson. Son père artisan ébéniste tombe dès le début de la Grande Guerre. Après l'école Pierre Sola, le jeune orphelin entre au lycée de garçons où il réussit de belles études. L'adolescent nourrit une passion précoce pour l'aviation. Dans les années 20, les exploits de Costes, Le Brix, Mermoz, ses héros enflamment son imagination et orientent déjà ses rêves d'avenir. Sportif accompli, il porte à dix-huit ans le maillot du plus grand club de football de sa ville: l'Olympique Gymnaste Club de Nice dit OGCNice.
Delfino est également une tête bien faite. Brillant élève de l'école républicaine, il intègre Saint-Cyr en septembre 1931 où il obtient son brevet de pilote trois ans plus tard. Ardent patriote, admirateur de Mermoz, le jeune officier semble proche du Parti Social Français du colonel de la Rocque (PSF) dans les années 1937/38. Il rêve d'engagement mais doit ronger son frein pendant la « Drôle de Guerre ». Cette volonté d'action au service de la patrie va enfin trouver à s'employer pendant la Campagne de France de mai à juin 1940. Le capitaine Delfino, à la tête de son escadrille de chasse, la 4e escadrille du Groupe de Chasse II/9 basée à Reims, participe à de nombreux combats et totalise huit victoires homologuées.
Le jour où le maréchal Pétain sollicite l'armistice, il est victime d'un grave accident. Les conséquences de celui-ci ainsi que la guerre perdue vont l'obliger à un long repos forcé.

En 1942, Delfino reprend du service en Afrique Occidentale Française dans une armée et une partie de l'Empire restées sous le contrôle de Vichy. Au cours d'un engagement au large de Dakar en août 1942, il abat un appareil britannique, un Wellington. Une tragique erreur qui aura des conséquences imprévisibles.
Le débarquement allié en Afrique du Nord, le ralliement de l'AOF à la France Libre rallument la flamme combattante de l'aviateur niçois et lui ouvrent de nouveaux horizons. Le service dans la RAF ou à ses côtés lui étant interdit depuis le malheureux incident de l'été 1942, Delfino doit se résigner à prendre la direction d'un autre champ de bataille. « J'ai cru, et je ne suis pas le seul, faire mon devoir en restant fidèle à Vichy. J'en suis revenu et je veux toujours combattre… »
C'est sur le front de l'Est qu'il ira se battre pour le compte du général de Gaulle et des Alliés et s'illustrera dans le combat pour la libération de la « Grande patrie soviétique ». Versé dans le groupe Normandie-Niémen à un échelon de responsabilité supérieur, il s'impose entre janvier 1944 et le printemps 1945 comme un pilote d'une trempe exceptionnelle. Sa vaillance, ses nombreux succès avec le célèbre avion Yak 1 dans les duels contre les appareils de la Luftwaffe le transforment en véritable héros du ciel. Il fait partie du petit groupe d'aviateurs décorés par le chef de la France Libre en visite officielle à Moscou en décembre 1944. Les bulletins de l'Etat-Major soviétique et les ordres du jour de Staline (les fameux prikazes) mentionnent à plusieurs reprises ses exploits, ses faits d'armes.
En mai 1945, c'est l'Armistice, le maréchal Staline offre en reconnaissance de leurs exploits à chacun des pilotes de « Normandie-Niémen » son Yak et Delfino reçoit les décorations les plus prestigieuses dont l'ordre du Drapeau rouge. Ainsi c'est aux commandes de leurs avions de combats que « Finochard » et les quarante pilotes français rescapés font leur retour dans la mère patrie et atterrissent le 20 juin 1945 au Bourget !  

Après la guerre il entame une carrière de haut responsable militaire dans l'armée de l'Air française. En 1961 il supervise toute la défense aérienne du territoire ainsi que l'organisation des plans tactiques de la nouvelle arme de dissuasion nucléaire voulue par le Général de Gaulle. La fraternité d'armes des années 1944-45 vécue sous les ailes de Normandie-Niemen a créé entre Delfino et l'institution militaire soviétique des liens étroits que la politique gaullienne d'ouverture à l'Est prolonge et tend à renforcer. Serviteur de l'Etat et de la République, Delfino incarne dans le courant des années 60 un « establishment » militaire français sûr de sa valeur et qui est mis à l'honneur par de Gaulle au nom de l'indépendance nationale. Ainsi le général d'armée aérienne cinq étoiles Louis Delfino en 1964 reçoit des mains du chef de l'Etat, chef des armées, le grand cordon de la légion d'honneur dans la cour des Invalides.
C'est au nom de cette fidélité que l'homme va s'engager en politique lors des élections municipales de 1965. Avec lui les gaullistes vont tenter de prendre d'assaut la mairie de Nice tenue par un Jean Médecin devenu opposant farouche à la Cinquième République et à son fondateur.
« L'escadrille du général attaque le domaine du Vieux Seigneur » titre alors le journal Le Monde. Pour la première fois Delfino va connaître la défaite. Une défaite cinglante et sans appel. Jean Médecin est réélu triomphalement et le devance de 40 000 voix. La forteresse du « Roi Jean » a résisté à l'attaque. Louis Delfino revient à ses activités professionnelles c'est-à-dire à l'armée.
Il meurt le 12 juin 1968, à la veille des élections législatives anticipées, terrassé par une crise cardiaque.
Le cimetière de Caucade qui surplombe l'aéroport de Nice devient sa dernière demeure.

Pour Delfino comme pour Saint-Exupéry, et Mermoz ses « modèles », l'aviation vécue comme une passion fut avant tout la métaphore de l'aventure humaine au vingtième siècle.


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