guarnieriSur la couverture trônait une Chemise rouge enthousiaste qui attira mon regard. Je ne connaissais ni l’auteur ni ses autres livres. Mais il y avait une Chemise rouge –le patriote, pas seulement le vêtement- en couverture, alors j’ai acheté le livre, un roman.

Et je suis tombé dans un abîme, terrible et saisissant.

En un mot, tout se déroule en Calabre, à l’hiver 1862-1863. Il s’agit de l’histoire d’un petit groupe de soldats du Nord, membres de l’armée du nouveau royaume d’Italie, chargé de combattre les « brigands » qui terrorisent la région depuis l’achèvement du processus de l’Unité, en 1860. Ce combat est atroce, et le récit prend bientôt la forme de ces opérations-commandos, impitoyables et féroces, où la violence est également partagée entre soldats et civils, dont un médiocre et récent cinéma américain nous a abreuvés jusqu’à l’écoeurement.

Il n’y a pas de héros, dans ce livre, pas d’innocents. Les soldats piémontais, lombards, toscans et leurs officiers, dont un major charismatique et glacé,  au nom familier aux oreilles niçoises, tuent, incendient et violent, à la recherche d’un mythique chef de bande dont l’exécution, hors toute forme judiciaire, est censée mettre un terme à la rébellion. Les « brigands » égorgent, torturent et massacrent sans pitié. Entre les deux camps, des civils, dont chacun peut dissimuler une arme, vieillards, hommes, femmes, adolescents, tentent de survivre avec la même cruauté, la même violence.

Il n’y a pas de soleil, dans ce livre. Nombreux sont ceux qui, ailleurs, confondent la Méditerranée avec les Tropiques et nous imaginent alanguis à l’année par la tiédeur. Ceux-là ne connaissent pas nos montagnes, à fortiori celles de la Calabre. Sur nos sommets, dans les vallées éloignées de la mer, de novembre à mars, on peut passer en quelques heures d’un soleil éclatant au brouillard, au froid et à la neige, dans un paysage digne de l’Ecosse.

Il n’y a pas de morale, dans ce livre. Les soldats comme les « brigands » s’y débattent dans le souci de leur survie, ouvriers d’une tâche à laquelle ils ne croient pas mais qu’ils exécutent. Les civils tentent d’échapper à la mort, sous toutes ses formes, celle, immédiate et brutale, des combats ; celle, prolongée et cruelle, de la faim, de la pauvreté, de la maladie ; celle, raffinée et politique, de la soumission, de la superstition, de l’injustice.

L’épisode de la « guerre contre le brigandage » est bien connu, dans le récit mythifié de la construction de l’Italie unifiée. L’expression elle-même est un acte de propagande, de la part du gouvernement de Turin, qui ne voulait pas qu’on pût imaginer qu’il y ait tant d’hommes et de femmes qui refusent l’Eden promis d’une grande Italie. Ceux qui, en 1860-1863, ne voulaient pas de l’Italie étaient considérés comme des « brigands ». Ils avaient pourtant de nombreux motifs pour le faire : le maintien de leur sujétion sociale, qui les laissait croupir dans la misère, était le plus fort et le plus vrai. Mais ils entravaient la marche d’une option politique qu’on croyait grande et indépassable, la Nation, il fallait qu’ils fussent massacrés. Ils le furent.

Aujourd’hui, à l’approche du 150e anniversaire de l’Unité italienne, les chercheurs se penchent sur la face obscure de l’événement, et les publications scientifiques sur ce qui fut une vraie guerre civile se multiplient. Mais au plus près des hommes, il y a ce roman.

Un mot encore : probablement, parmi les officiers, y avait-il des Niçois, de ceux qui avaient opté pour l’Italie en 1860.

L’Histoire est amère.

Les sentiers du ciel, Luigi Guarnieri, Actes Sud, 2010